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1970

Les patois romands sont encore vivants en Valais et en Gruyère, et même dans quelques villages vaudois. Ces dialectes dérivent du bas latin parlé jadis dans la zone d’influence de Lyon. Les linguistes les appellent franco-provençaux , parce qu’ils divergent à la fois du français et de l’occitan du Midi. Leur domaine forme un grand triangle entre La Chaux-de-Fonds, Turin et Roanne, dans le Forez, aux portes de l’Auvergne. La Savoie en occupe le centre.
Le vrai bastion du franco-provençal est aujourd’hui le val d’Aoste. Le dzein patoué (beau patois) est la langue maternelle de dizaines de milliers de Valdôtains. Car il a mieux résisté que le français à l’italianisation forcée imposée jadis par le régime fasciste.

En France, de jeunes provinciaux rejettent le jacobinisme linguistique et réhabilitent les anciens dialectes. Mais ni le terme désuet patois, ni l’artificiel franco-provençal ne satisfont leurs besoins identitaires. Depuis le début des années 1970, ils se rangent désormais sous la bannière de la langue arpitane et de l’Arpitanie – sans même savoir d’où viennent ces noms ronflants. En fait, ces termes sont nés à Aoste d’une aventure politico-linguistique ubuesque.

Un Basque militant
Le parrain du mot arpitan est le philologue espagnol Federico Krutwig Sagredo (1921-1998). Né à Bilbao, il parle l’euskara, la langue basque. Dans un ouvrage paru en 1963, il invite les indépendantistes basques à s’allier au FLN algérien pour créer un Etat englobant toutes les terres bascophones de l’Antiquité, la Gascogne comprise. Aussitôt banni de France, il entame une vie itinérante.

Il prépare ensuite un livre très confus intitulé Garaldea (les «terres du haut») qui paraîtra en 1978. Digressant sur les langues antiques et les groupes sanguins, il oppose les habitants de la bordure atlantique coltineuse aux Eurasiens qui ont envahi les plaines européennes. Il voit dans les Basques les derniers survivants des agriculteurs néolithiques d’il y a cinq mille ans, qu’il baptise Garalditans.

Krutwig soupçonne l’existence d’autres îlots refuges dans les Alpes. Le versant français lui étant interdit, il s’installe à Aoste vers 1970 en quête de Garalditans résiduels. Il projette des termes euskara sur de banals lieux-dits valdotains. Ainsi l’Arbellay, le bosquet de peupliers blancs, devient harri-beltz, la pierre noire. Le Grand Combin se mue en gun-binia (colline-colline) et le Cervin (ger-binia) se découvre tout aussi collineux.

Prolétaires néolithiques
A Aoste, Krutwig rencontre Joseph Henriet, un jeune maoïste qui veut mobiliser les paysans et ouvriers des vallées contre la bourgeoisie francophone et italophone d’Aoste. Niant l’existence d’une ethnie valdôtaine, il prône une fédération prolétaire et francoprovençale à cheval sur les Alpes. Alors que les élus locaux invoquent les Romains et les Salasses de l’Antiquité, Henriet décrète que le patois est carrément la langue garalditane du néolithique. Les fameux Sarrasins des Alpes? Garalditans eux aussi. Lui-même «basquise» son nom en Joze Harrieta.
Outre la traduction en patois d’œuvres de Mao Tsé-toung, il publie des compilations de mots soi-disant néolithiques qui se ressemblent en patois et en euskara. Et pour cause: ils sont tous empruntés au français ou au latin. Un peu longuet, le mot garalditan sera vite remplacé par harpitan. Arpa est la forme franco-provençale du mot alpe et arpian désigne le domestique qui travaille sur l’alpage. Or un hasard charitable veut qu’en basque harri-pe signifie «sous les rochers». Les gens des vallées alpines sont donc des Harpitans.

Une confédération arpitane
Privé ensuite de son H basque, le terme arpitan partira à la conquête des espaces franco-provençaux. Vers 1980, Harrieta rêve d’une «Confédération arpitane» unissant Valdôtains, Savoyards et Valaisans.
Mais il en exclut les Vaudois. Heureusement, car à la sauce basque les gens de la rive nord du Léman devraient s’appeler quelque chose comme Aïntziriparralditans…

Avec l’âge, Harrieta retrouvera son nom de Henriet et deviendra secrétaire régional de la Ligue du Nord, le parti xénophobe d’Umberto Bossi. Il défend désormais la thèse d’une origine libyenne des Arpitans.

 

Un néologisme rimant avec liberté


Le mot arpitan est désormais entré dans le langage courant. Il est plus maniable que franco-provençal et sonne nettement mieux. De plus, il rime avec l’autre idiome français issu du latin, l’occitan. Un terme utilisé déjà au Moyen Age comme synonyme de langue d’oc.

Autre atout, le R d’arpitan occulte l’origine alpine du mot. Les habitants du Lyonnais et des environs – Bresse, Beaujolais, Forez, Bas-Dauphiné – ne seront pas dépaysés. Aux sceptiques, on serinera qu’outre les cimes blanches le mot alpe désigne aussi un pâturage d’altitude, voire n’importe quelle prairie où broute un troupeau. Ainsi même un paysan du Forez pourra se sentir Arpitan.

Mais surtout, ce mot passe bien mieux sur internet que franco-provençal. La toile a joué un rôle-clé dans l’adoption du terme. Grâce au linguiste suisse Dominique Stich, le franco-provençal possède désormais une orthographe unifiée, un dictionnaire et même un album de Tintin en arpitan.

L’an 2004 a vu la naissance d’une Aliance culturela arpitana à laquelle participe la Lausannoise Nicole Margot. Elle reconnaît que le néologisme choque beaucoup de patoisants. «Les Romands tiennent beaucoup au mot patois, ils le ressentent comme chaleureux et affectif, alors qu’en France il est perçu comme humiliant. Mais les jeunes, eux, sont fiers d’utiliser des mots rejetés jadis comme mauvais français. Savoir que le mot panosse vient du latin, ça fait du bien. »

Président des patoisants fribourgeois, Joseph Comba rejette cependant «ce mot arpitan tombé du ciel». Son homologue vaudois, Pierre Guex, le trouve artificiel. Car pour lui la valeur des dialectes réside dans leur enracinement local, dans les innombrables variantes de village en village.

Saviésan établi à Lausanne, Jacques Mounir ne partage pas ces réserves: «C’est parce qu’il est moderne que le patois a un avenir et qu’il faut le conserver. A la dernière Fête internationale des Arpitans, au Piémont, on a beaucoup parlé des nouveaux médias. C’est sur internet que les termes arpitan et Arpitanie ont été popularisés. Nous recourons à toutes les potentialités du net, y compris Facebook, pour créer des liens entre les jeunes qui parlent patois. »

Sur le site arpitania.eu, de jeunes Français critiquent Sarkozy et le centralisme. Au milieu des chats apparaît sur fond rouge-noir le slogan Arpitania abada. En patois, abada désigne un pré où le bétail peut brouter sans surveillance. Sur internet, il équivaut désormais à «liberté».

Alain Pichard, 24 Heures du 2 mai 2009, Lausanne. Page 30

Voir également le doucmentaire “Harpitanya, la ferveur d'une idée” de Christiane Dunoyer (2012).

Actualites

Ateliers Gag'arpitan

[11.02.2024]
Tous les 2e et 4e mercredi du mois, le Remue-Méninges à Saint-Etienne accueille les ateliers Gag'arpitan !

Venez y pratiquer l'arpitan de Saint-Etienne et d'ailleurs !

https://remue-meninges.com/site/rendez-vous-reguliers/

Vallee d'Aoste : Fete internationale des patois arpitans

[27.08.2014]
La prochaine Fête des patois arpitans aura lieu à Courmayeur les 6 et 7 septembre 2014. Elle est organisée par l'Administration régionale de la Vallée d'Aoste, en collaboration avec le Centre d'Études francoprovençales "René Willien" et la commune de Courmayeur.

L'arpitan a l’ecole, le projet pilote entre dans l’offre de formation

[14.03.2014]
Val d'Aoste | Dans le cadre des initiatives organisées par l’Assessorat de l’éducation et de la culture  pour préserver et promouvoir la “langue du cœur des Valdôtains”, l’Assesseur Joël Farcoz annonce que, pour l’année scolaire 2013-2014, l’enseignement de l'arpitan sera introduit dans les différents établissements scolaires de la Région.

Une delegation de l’Association des Regions de France soutient l'arpitan au ministere de l’Education nationale

[03/02/2013]

Une délégation de la commission Langues Régionales de l’Association des Régions de France a été reçue au ministère de l’Education mercredi dernier 30 janvier. La revendication de la reconnaissance de l'arpitan a été portée par la délégation.

Belkacem Lounes: «Si une Region soutient ses entreprises elle peut soutenir ses langues»

[11/02/2013]

LYON | Rhône-Alpes a une situation particulière concernant les langues régionales : si Drôme et Ardèche sont territoires de langue occitane, ailleurs c’est l'arpitan qui souffre.

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